PourParler – Négocier pour sauver des vies humaines – Eric Valentin
J’ai un profil hybride, alliant une double expertise. J’étais au ministère des Armées, j’ai une expérience confirmée de plus de 30 ans passés dans l’institution miliaire, des postes opérationnels, dont 20 ans dans des unités spécialisées. Aujourd’hui je suis aussi réserviste opérationnel, au sein des formations ,je forme des personnes sur différents thèmes, la négociation de crise, la négociation de la radicalisation, la détection du mensonge.
Je travaille aussi sur l’étude des profils
J’ai fait de nombreuses missions à l’étranger, pendant toutes ces années, ces 30 ans avec des négociations complexes, sur des prises d’otages, qui duraient un mois, deux mois, six mois, quelques années, et avec le montage des opérations pour la récupération des otages, le débriefing, c’est un retour d’expérience où tu peux l’imaginer, il y avait beaucoup de travail.
Sur la partie civile, après j’ai fait, depuis 10 ans, j’ai été dirigeant d’une filiale en Algérie ?? manager, et pendant 5 ans, et j’ai aussi fait deux ans de sureté en portuaire, et là la négociation m’a bien aidé, au début j’avais 8 clients, et quand j’en suis sorti, j’en avais 30.
des négociations assez spécifiques, dans ta précédente vie, ce n’était pas des négociations commerciales on parle de négociations de crise, des kidnap and ransom c’est ça ?
C’est ça, essentiellement sur des prises d’otages. En fait, on est prévenu qu’il y a une prise d’otages à un endroit précis, et ensuite, c’est parti, on met tout en place, les moyens humains et techniques, parce que naturellement je ne travaille pas seul, l’idéal c’est d’être en équipe, ça reste un travail d’équipe. Et ce sont des négociations qui sont complexes, parce qu’on n’a pas beaucoup de leviers, et surtout quand on arrive, on n’entend ( ?) pas grand-chose. C’est parti, et on y va !
si on fait des parallèles avec l’entreprise, dans l’entreprise certaines négociations, pas toutes, on a la capacité de les préparer en amont. Là quand tu es déclenché sur une prise d’otages, dans un pays, une langue que tu ne connais pas forcément, c’est quoi tes premiers réflexes pure préparation sur ta négo ?
Je vais te prendre l’anecdote de ma première négociation. J’ai été formé au RAID par Tatiana Brillant (le Raid c’est l’unité de la police nationale). J’ai effectué le stage, et je suis sorti comme négociateur, un vendredi, je rentre sur Perpignan où j’habite et on me téléphone et on me dit, vous partez sur une prise d’otages, sur le continent africain, et je réponds au responsable, l’encre sur mon diplôme n’est pas encore sèche ! et le mercredi je me retrouve sur une prise d’otages, deux personnes, et je commence une négociation, sachant que j’avais terminé le vendredi, avec une personne des Nations Unies, un négociateur canadien qui négociait depuis 15 ans, et les gens des ONG. Et je commence à négocier, et le Canadien qui faisait de la négociation depuis longtemps me dit, je vais voir comment vous négociez, si je pense que vous n’êtes pas à la hauteur , je prendrai le lead. Sachant qu’il m’a demandé depuis combien de temps je négociais, sachant que le vendredi je terminais la formation. Et naturellement je commence à négocier avec ce qu’on m’avait appris, avec un traducteur, parce que c’était un dialecte bien particulier, et là je parlais en anglais à la personne qui traduit dans la langue, et j’ai commencé mes premiers échanges. J’ai même été surpris parce que dès le premier échange, j’étais dans le match, ça voulait dire que la formation était bonne et en même temps c’était quelque chose qui me plaisait. Et le négociateur canadien m’a dit, Éric, effectivement tu négocies depuis très longtemps, ça se voit
sur cette phase de préparation, j’entends le besoin d’être accompagné par le traducteur, tu me diras dans quelle mesure il est important puisque j’imagine que c’est lui la voix au contact de la négociation mais qui doit aussi t’alerter, son rôle n’est pas que de traduire, il y a toute une symbolique derrière que la culture, sur ce qu’il faut faire, il va te transmettre de l’information que toi en tant que français tu ne peux pas forcément obtenir de la même manière
Le premier contact avec le traducteur est important, il faut lui expliquer exactement ce qu’on veut, avec l’échange qu’il va y avoir. Et comme tu le dis très bien, il faut prendre en compte tous les paramètres, on est dans une autre langue, un autre pays, dans une autre culture, négocier à l’international, ce n’est pas négocier en France, c’est-à-dire que là, on doit s’adapter. Et cette personne, on en a besoin, si on décide ou si on est un peu trop dur avec cette personne, il ne va d’abord pas traduire ce qu’on lui demande et en même temps il peut dire, j’arrête, et s’il dit j’arrête, c’est terminé, sachant qu’on compte sur lui, émotionnellement c’est très difficile. On doit gérer la négociation, on doit gérer les autorités, le patron de l’ONG, les autorités qui le commandent, on doit gérer ce traducteur et ensuite on va négocier, ça fait beaucoup de paramètres
tu veux dire que ta première négociation commence avec le traducteur
Ma première négociation commence déjà avec le responsable de l’ONG et je vais lui expliquer ce que je vais mettre en place et pourquoi je vais le mettre en place. Ensuite, la deuxième négociation ça va être avec l’ambassadeur, en lui disant, voilà ce que nous allons faire, naturellement comme je répète, c’est toujours une équipe. Ensuite je rencontre le traducteur, et là je commence à lui expliquer, sachant que c’est traduit en anglais et ensuite dans sa langue, et après pendant l’échange, il va retraduire ça en anglais, et me dire, parce que pendant tout l’échange on va continuer à l’alimenter pour qu’on essaie d’avoir les réponses qu’on espère avoir
en fait le traducteur ne te traduit pas en français, il te traduit en anglais, et toi tu parles anglais, il y a des risques d’incompréhension à chaque étape
(communication sur la formation)
Toutes nos conversations sont enregistrées, et on va les réécouter après, on va écouter ce que dit le traducteur parce que quelques fois il ne dit pas exactement ce qu’on a envie de dire, et il peut y avoir certaines incompréhensions. Mais déjà, il faut vraiment faire attention et gérer ce traducteur et gérer ses émotions, parce que là on peut vraiment partir… on peut aller à l’inverse de ce qu’on veut récupérer, il peut y avoir des non-sens, ça peut être très compliqué.
comment est-ce que tu prépares, tu commences la préparation dans l’avion, en partance pour l’autre pays ? c’est quoi tes premiers réflexes, est ce que la préparation mentale est quelque chose que tu intègres dans cette préparation ?
Oui, on se prépare, il y a toute une équipe, c’est ce qu’on appelle une cellule de crise qui est mise en place, qui nous donne des éléments. Au début les informations arrivent de partout, ce qui fait beaucoup, un flux d’informations qu’il va falloir trier. Si une négociation vient de commencer ça va, mais si c’est une négociation comme celle où je suis allé qui durait depuis 6 mois ou un an, on arrive, notre premier appel va être différent peut-être de ce qui a été fait auparavant, mais cette préparation est très importante. On doit connaitre surtout les otages, parfaitement, on doit connaitre les preneurs d’otages, on doit essayer d’avoir un maximum d’informations sur eux, et ensuite, on va mettre en place cet appel. La préparation mentale, c’est de se dire, je vais sur quelque chose, sur une inconnue, c’est une prise d’otages, comme tu le sais, on l’a souvent entendu, toute prise d’otage est différente, on ne peut jamais faire un copié-collé sur une prise d’otages. Je vais commencer mon premier entretien, je fais toujours une étude de profil, à partir du moment où j’ai la personne, que ce soit au téléphone ou en visuel, je vais tout de suite faire cette étude de profil qui va me permettre de savoir à qui j’ai à faire. Et ensuite, on va commencer cette négociation, sachant que je n’ai pas les leviers, je n’ai pas une colonne d’assaut en levier, en disant, écoute si ça se passe mal, regarde ce qu’il y a dehors. Dehors, non, en fait c’est un climat de confiance et c’est parti
je crois que c’est une expression de Jean Pierre Veyrat qui parle de négociation captive, et négociation non captive, c’est que les négociations captives, tu as ton forcené qui prend un otage, mais qui est entre quatre murs, et de l’autre côté de la porte il a une colonne. Toi, au moment où tu négocies, tu ne sais pas où sont les otages et tu n’es même pas sûr que ton interlocuteur soit au contact des otages
La première difficulté, c’est de récupérer, c’est d’ouvrir un canal, et de récupérer le bon canal parce que ça arrive de partout. Quand c’est au début, plusieurs personnes viennent te voir en disant, moi j’ai l’otage, moi je suis l’otage, mais en fait il faut pouvoir confirmer qui est l’otage, parce qu’ils veulent le récupérer, ça peut être une contrepartie quelle qu’elle soit, donc il faut confirmer ça, c’est le plus important au début, et c’est difficile. J’ai déjà parlé à des otages, et souvent on a des preuves de vie, on a très peu les otages, parce qu’avec les moyens techniques, ils arrivent et disent qu’ils les ont localisés, du coup on a des preuves de vie, on fait des demandes, et on a des preuves de vie, ce qui est important dans toute cette négociation c’est de savoir qu’il a l’otage, et que l’otage va bien.
ce que tu veux dire c’est que la première difficulté que tu peux avoir, c’est que des gens pour une démarche crapuleuse vont essayer de doubler les kidnappeurs pour avoir une remise de rançon d’un otage qu’ils n’ont pas
Une fois j’ai eu une personne qui a fait un petit montage avec un Photoshop, il était aussi doué que moi je pense, il est venu à l’ambassade et il m’a donné ce document, en fait une photo qu’il avait récupérée sur le journal, un coup de Photoshop, en disant, ça, c’est une preuve de vie. Si on commence à donner quelque chose sur des petites preuves de vie, quelles qu’elles soient, le lendemain il y a 200 personnes devant l’ambassade. Le plus dur au début avec les prises d’otages, c’est d’avoir le bon canal, et quelques fois, il y a des preneurs d’otages qui… il faut savoir qu’un preneur d’otage, j’insiste bien là-dessus, il n’est pas en crise, il n’a pas de problème particulier, le négociateur n’est pas en crise, il n’est pas sous l’emprise de stupéfiant ou de l’alcool, c’est quelqu’un comme toi et moi. J’ai même eu des preneurs d’otages, des négociateurs qui avaient appris à négocier, c’est-à-dire qu’ils ont lu des livres, ils savaient négocier. Quand tu commences à négocier avec eux, ce qu’ils font parfois, ils attendent un mois et demi deux mois parce qu’ils jouent avec le temps pour mettre la pression, avant de prendre le premier contact pour commencer une négociation. Ce qui fait que toi, dès que tu as le premier contact, que tu as une preuve de vie, tu es soulagé et tu es prêt à beaucoup de choses. Toutes ces techniques, on a des gens en face qui sont bons en négociation
ce n’est pas plus ou moins complexe mais à la différence d’un forcené qui peut être sous l’emprise d’émotions très fortes, de stups, d’alcool, et dans une gestion de crise qui lui est très particulière, en face de toi c’est un peu des businessmen, les gens ont toute leur tête et sont formés pour certains à ces négociations, et la complexité est que tu n’as pas cette alternative de la colonne d’assaut à ton niveau pour obtenir ce que tu veux
C’est exactement ça, tu vas tomber sur quelqu’un qui va commencer à te parler et tu vas te rendre compte qu’il connait la négociation, et il te dit, moi je sais ce que c’est la négociation, ne me prends pas pour un imbécile, respecte-moi. Et tu te dis, j’ai à faire à quelqu’un qui est bon, et je n’ai pas cette colonne d’assaut, les leviers que je vais utiliser ça va être les leviers sur ce qu’il va me dire, naturellement, mais c’est plus difficile au début. La prise de contact, les premiers contacts, c’est très difficile parce qu’on ne sait pas trop à qui on a à faire, et il y a un jeu de part et d’autre de pouvoir dire, c’est moi le responsable, c’est moi qui maitrise, et dès cette prise de contact, et qu’ensuite le profil est fait… En général, ces négociations peuvent être dures, mais c’est surtout des négociations qu’on appelle négociations subtiles, il y a des petites phrases de temps en temps, des petits mots, il peut y avoir de l’humour, ça peut surprendre. Un jour un négociateur m’a dit, si tu veux, après la négociation on ira manger au restaurant, j’ai dit oui aucun problème, on ira manger ensemble ! Certains, ce sont des terroristes, et la personne à côté de moi m’a dit, je ne comprends pas ce que tu fais, tu ne vas pas aller manger au restaurant avec cette personne ?
tu m’avais raconté cette anecdote et tu m’avais dit ce qu’était pour toi à ce moment-là la différence entre l’empathie et la sympathie. Tu étais dans cette capacité d’empathie et de lui dire, avec grand plaisir pour aller diner au restaurant derrière, et pas du tout dans de la sympathie parce que la réalité c’est que si tu l’avais eu en face à face, il n’y aurait peut-être pas eu la même tournure
Oui c’est ça, en fait, moi je me suis toujours soucié, dès que j’étais sur une opération, sur une prise d’otage, et j’ai peut-être des fois heurté ou choqué d’autres personnes qui étaient déjà sur place, que je relevais, qui étaient sur une négociation, parce que nous on prend des négociations qui sont déjà depuis quelques mois, un mois, deux ou trois mois, et quand on arrive on a déjà des responsables qui sont sur place, qui ont fait du très bon travail, mais moi je me suis toujours soucié des otages, et je leur dis aux autres personnes, le plus important c’est les otages, il faut qu’ils sortent, qu’ils rentrent chez eux. Je sais qu’il y a des contreparties, que ça reste du business, qu’il y a ci et ça, mais le plus important, c’est qu’il faut qu’ils rentrent à la maison. Et quand on les récupère et qu’on les débriefe, et qu’on voit dans quel état ils sont, c’est ça qui est important, les otages. Et je discute avec une personne au bout du fil, et je me dis, je dois faire de l’empathie, je dois faire de l’écoute active, il va me donner des choses intéressantes, et les leviers je vais les utiliser, je fais en sorte d’utiliser les bons leviers parce que les leviers, c’est, il faut que les gens rentrent à la maison. Je le disais une fois à un négociateur, ça faisait un an et demi qu’il était dessus, quand je suis arrivé sur la négociation, je lui disais, ça fait un an et demi, tu as de la famille, tu as des amis, tes enfants, il faut que moi je rentre chez moi et que toi tu rentres chez toi, ça, c’est des leviers, c’est la vie, la réalité, c’est un levier, tu remets les gens dans la vraie vie.
sur ces négociations, j’imagine qu’elles durent assez longtemps, qu’il y a une temporalité qui est très différente. Tu dis, je négocie avec des gens qui sont potentiellement des businessmen, ça veut dire qu’ils attendent forcément quelque chose de toi. Ils ont fait un job, et ils attendent d’être rémunérés pour ce job qu’ils ont fait
Les contreparties sont souvent, tu comprendras que je ne peux pas aborder tout ce sujet dans le détail, mais les contreparties, c’est les politiques ou autre chose. Les contreparties politiques sont très difficiles parce que c’est à haut niveau. J’ai eu souvent des prises d’otages où j’arrivais sur des contreparties politiques, avec une libération de personnes, c’était difficile parce que la libération de personnes, ça ne dépend pas de nous, ça dépend de chaque pays qui décide ou pas de libérer des personnes, et ces contreparties posent vraiment un problème. Après j’ai eu, on m’a demandé un saufconduit, un document qu’un pays peut faire quand la personne a terminé et rend les otages, à ce moment-là on lui donne un saufconduit, ça, c’est facile à avoir, mais quand c’est de l’humain, on l’a bien vu en Israël quand le soldat a été enlevé, les israéliens, ça a été 1000 personnes pour le récupérer. Quand c’est du politique, on ne maitrise pas
comment tu gères cette temporalité ? ta négociation la plus longue a duré combien de temps
La plus longue a duré trois ans
mais tu fais d’autres choses entre temps ?
En fait, voilà, la négo, je pars entre trois et quatre mois, et ensuite il y a un autre négociateur qui vient, on est relevé, on ne peut pas tenir, parce que la pression, c’est difficile
et les prises de contact, c’est tous les combien en moyenne ?
Dès que je peux, j’appelle le preneur d’otage, j’entretiens, je crée un climat de confiance. Je suis arrivé sur une prise d’otage un jour, un négociateur était là et m’a dit écoutez, on n’a pas appelé le preneur d’otage depuis 15 jours, on n’a rien à lui dire ! je lui ai dit, ah bon ? vous n’avez rien à lui dire ? non on n’a rien à lui dire, parce qu’on était sur du marchandage tout simplement. Donc j’ai dit, je vais l’appeler et lui poser des questions, comment ça va, comment vont les otages, comment il va lui. Il était très surpris, et après je l’appelais tous les trois jours, le preneur d’otage et il me dit, vous n’avez pas de bonne nouvelle ? j’ai dit, si bien sûr qu’on a de bonnes nouvelles à vous annoncer, d’abord je prends de vos nouvelles à vous, des otages, et j’ai toujours des bonnes nouvelles. Et ça, il peut y avoir quand même des coupures, quelquefois, 15 jours, 3 semaines, parce que si je prends l’exemple des négociations en Afghanistan, la personne qu’on appelle un porte-parole, ce n’est pas tout à fait le preneur d’otages, lui il dit, ce que vous m’avez dit, je vais le soumettre à la Chora ( ?), et ensuite ils vont discuter, et ensuite il revient. Naturellement lui, il téléphone d’un endroit, ensuite il se déplace, il faut peut-être deux trois jours, quatre, pour se déplacer, il y a la réunion qui est mise en place et ensuite il faut quatre jours, donc là on sait qu’il faut 8 à 10 jours voire 15 jours entre deux appels. Ça, par contre ça pose un problème, parce que nous on est tributaires, on ne montre pas qu’on veut aller vite, mais on veut quand même récupérer nos otages
Quand tu appelles, ça veut dire que tu viens travailler cette notion de lien, d’empathie, et j’imagine que sur certains calls, tu ne parles même pas de récupérer les otages ou autres, tu es sur tous les sujets qui sont en parallèle, sur la création du lien pour le moment où tu vas aborder ces sujets, que ça ait davantage d’impact
Quelquefois j’ai un peu choqué, y compris le traducteur et même les responsables, parce que je soumets à chaque fois des appels, je dis, le prochain appel on va faire ça et ça, et ils disent on ne comprend pas. Par exemple j’appelle et je dis je vais appeler le preneur d’otages et lui demander, quel est le protocole de libération. Et il me dit, vous pouvez m’expliquer, je ne comprends pas, on sait ce qu’il veut en contrepartie on n’est pas du tout d’accord, et vous parlez du protocole de libération, pourquoi ? Parce qu’à un moment donné, ça va se terminer et lui je suis en train de lui mettre dans la tête qu’il faut que ça se termine, et quand ça va se terminer, on ne va pas commencer à parler du protocole de libération. S’il commence à m’en parler, au début, il raccroche, il dit non, je ne veux pas vous parler. La fois d’après, je recommence à parler du protocole de libération, et on commence à en parler, bon écoute, on va les prendre, on les amène à un endroit, ils vont être délestés à un endroit, on va faire un échange différé, pas en direct, c’est trop dangereux. Et tout ça me permet de l’amener, tout doucement, sur, parce que l’accord va avoir lieu, et ça, ça a étonné des responsables, et en fait, quand ils entendent les réponses du preneur d’otage, ils disent, c’est incroyable, il commence à parler du protocole de libération alors qu’il n’est pas du tout d’accord sur le deal
ça veut dire que tu as fait ton ancrage, ton induction d’un sujet, d’une idée et au fur et à mesure, ça va devenir une réalité
Je pense que l’être humain, foncièrement, quelle que soit notre position sociale, il est bon, on n’est pas nés en étant tous négatifs, on a des parcours de vie différents. Je commence à négocier, je parle avec quelqu’un, et je me dis, je suis à une place, et lui il est en face, on a des positions peut-être différentes, mais on a un intérêt commun, on va converger, il faut que tous les deux on arrive à un résultat. J’ai traité une négociation en 20 jours, celui qui était avec moi ne comprenait pas, parce qu’en fait le protocole de libération, le fait de dire je suis tout à fait d’accord avec toi, le protocole de libération, on va t’aider, il y a des pressions peut-être qui sont de part et d’autre, mais ce que je veux c’est que tous les deux on trouve un accord. On ressent les choses, toi quand tu négocies, tu parles avec quelqu’un, tu peux ressentir.
Je ne sais pas si je t’ai expliqué comment je fais la négociation, j’ai commencé ma carrière comme spécialiste de parachutisme, j’étais instructeur chute, je formais les gens dans le ciel, à 4000 mètres voire plus haut, et ensuite d’instructeur chute, je suis parti dans des missions de protection rapprochée, et on me mettait sur des missions délicates, parce que j’aime les gens, je discute, je prends le temps, je pense qu’il y a des solutions, que des problèmes, tout le monde en a et on peut les régler, quels qu’ils soient, et c’est pour ça qu’on m’a mis sur la négociation, et que j’ai trouvé ça extraordinaire pour en avoir fait pendant quelques années. Je me dis, je pars négocier avec quelqu’un ce n’est pas un ennemi, ça l’est, quelques fois j’ai négocié avec des terroristes, mais c’est un être humain et moi je dois arriver à ramener ces personnes. Et ensuite je les récupère et je les débriefe, ça par contre c’est vraiment, ça n’a pas de prix, quand tu récupères tes otages et que tu commences à les débriefer, c’est une satisfaction, c’est un truc, c’est très fort. Tu débriefes des gens que tu as ramenés, la personne vient vers toi, j’ai une dame, on les a récupérés, on les a mis dans l’avion, un endroit « très chaud », et la dame enlève sa djellaba, elle met son jean et elle vient vers moi, qui vous êtes ? je lui explique d’où je suis à peu près et ensuite, on commence à discuter, mais je vois dans son sourire qu’elle revit, et toi, tu te dis, j’ai fait quelque chose, vraiment, je suis allé au bout, ça m’a pris du temps mais cette personne, elle rentre chez elle, et c’est gagné
autant j’imagine que dans ta première vie de militaire, tu ne vois pas à l’instant T l’impact de tes actions sur le pays ou les personnes que tu protèges, autant là tu vois en 5 minutes, quand tu récupères l’otage, l’impact de ton travail
Je ne peux pas l’expliquer, les personnes viennent vers toi, déjà en termes d’émotions, il faut gérer, parce que tu les vois en face de toi, ensuite tu les emmènes dans un hôtel, tu commences à débriefer, et là ils verbalisent, ils viennent de passer un mois, six mois un an ou deux, et ils te racontent des choses, ils te parlent comme si on était amis, et moi je les écoute et d’un autre côté, je suis content qu’ils soient là on est l’un en face de l’autre, en train de parler, et le but c’est de le faire parler et de lui dire, maintenant c’est terminé tout ça, tu vas reprendre « une vie normale ». Ça n’a pas de prix. C’est pour ça que les gens qui m’ont vu négocier m’ont dit, c’est impressionnant, je suis très gentil, mais je suis une machine, on est une machine, c’est un tout, c’est une équipe et quelquefois je peux négocier, je t’appelle, Julien, voilà ce qu’il se passe, et tu me dis, non, je ne suis pas d’accord, parce que je pense que c’est l’intelligence collective. Les quelques petites erreurs que j’ai pu faire de temps en temps, non, c’est en fait une intelligence collective, il y a des gens autour, tout le monde réfléchit
de toute façon la créativité ou l’innovation ne vient que de la capacité à encadrer le conflit, et le conflit c’est juste un désaccord. J’entends ce que tu dis, je suis totalement aligné. Tu dis que cette notion de débrief, c’est une explosion émotionnelle, j’imagine que tu dois avoir un moment de stress particulier quand tu as le protocole de reddition, tu parlais d’échange différé, ça doit être en termes de stress quelque chose qui n’est pas évident, tu vas donner quelque chose et tu attends la contrepartie dans un second temps, mais que se passe-t-il si l’autre n’honore pas sa parole ? ça t’est arrivé ? le temps doit être insupportable et interminable pour toi ?
J’en ai des frissons en racontant cette anecdote, parce que celle-là, elle vaut son pesant d’or. Parce que tu vois, un jour, on a une contrepartie quelle qu’elle soit à donner, et un haut responsable appelle le responsable sur place dans le pays où on était, et lui dit je vais vous passer ?? Parce que les contreparties sont souvent différées, parce que les gens, on sait que dans certains pays, il y a des gens qui ne sont pas très honnêtes avec les contreparties, et du coup, ça leur permet à eux de faire le point sur ce qu’ils vont récupérer, en gros, c’est ça. et en fait, le responsable dit, on va donner une contrepartie, dans 48h on récupère les otages
toi tu donnes le premier, et tu attends dans un second temps
48h, et là, il appelle le responsable qui après dit, je vous passe Éric. Et là, la haute autorité me dit, Éric, pouvez-vous m’assurer que nous allons récupérer les otages dans 48h ? Il pose une seule fois la question. Et là je lui réponds, avec ce que j’ai mis en place, notre équipe, dans 48h, nous récupèrerons nos 6 otages. Il m’a dit, très bien, et il a raccroché. Pendant 48h, je peux te dire que ce n’est pas facile
comment tu gères ce temps ?
D’abord, ce que je lui ai répondu, avec ce qui avait été mis en place avec le preneur d’otages, j’étais serein, mais on reste quand même des êtres humains, et on peut se tromper. Et en fait, à 48h, quand on a fait le montage, on a été récupérer les otages, la grille s’est ouverte, on a récupéré nos 6 otages, ils étaient en face de nous, je peux te dire que… mais pendant ces 48h, ce n’est quand même pas facile. Comment tu gères ça ? Les gens viennent te poser la question, alors Éric, tu en es où, il te reste 24h, toujours aussi serein ? Mais j’ai confiance en la personne, après, si tu vas travailler sur de l’Amérique du Sud, là ça ne sera pas les mêmes personnes, mais la personne que j’avais en face de moi, à chaque fois je lui ai répondu oui, et j’ai récupéré les otages, c’était en différé, on a fait deux fois en direct, mais en différé on n’a jamais eu de problème. Je ne dis pas que c’est un business, de toute façon il sait très bien que l’accord est là, les gens sont là depuis longtemps, n’oublie pas que quand tu as des otages, il faut les nourrir, les garder en vie, il faut tout ça, ça te prend du temps, de l’énergie, et en fait, je savais qu’on était au bout du bout. Mais quand j’ai répondu oui, je me suis dit, ça a intérêt à fonctionner !
C’est oui, il faut répondre parce qu’on pose la question, si tu dis non, la contrepartie ne sera pas donnée, et tu ne récupèreras pas les otages. Et de l’autre côté tu sens bien que la personne à un moment donné, elle me dit, les otages, je vais te les rendre, c’est fait, je te les rends, il n’y a aucun problème
tu as raison de préciser que sur un kidnap and ransom classique, maintenir des otages vivants, ça a un cout, les garder, à la différence d’un kidnap and ransom en cybersécurité où tu peux bloquer de la data plus longtemps et tu n’as pas de cout à proprement parler
Je vais te raconter une autre anecdote sur une autre prise d’otages, où il y a une personne que je rencontre, qui me dit, il y a un otage qui a été exécuté, il ne nous reste plus beaucoup d’otages, on est bloqué, il a été exécuté. Je lis les échanges, sans être en négociation (tu récupères la négociation en cours), je récupère et je dis, j’ai lu les échanges, et c’est là que soit tu es dans l’écoute ou tu vas interpréter des choses que dit un preneur d’otages, je dis, ils n’ont pas exécuté l’otage, ils t’ont fait un ultimatum, ils ont simulé une exécution. Et il me dit si, les otages ont vu la personne se faire exécuter. Je lui demande, quel est le montage de l’exécution, je vais dans les détails, explique-moi, et il me dit, il y avait un 4×4, ils ont mis un autre 4X4 devant, ils ont mis la personne à genou et l’ont exécutée. Et moi, je ne dis pas qu’on ne peut pas se tromper, mais après c’est du bon sens, ils ont mis un 4X4 devant un 4X4, les autres otages derrière, pour voir déjà à travers le premier véhicule, mais il y a un autre véhicule qui est devant, et ils l‘ont mis à genou et ont entendu un coup de feu, mais est-ce qu’ils l’ont vraiment exécuté. Connaissant en plus les gens qui avaient enlevé ces otages, je me suis dit non. Et dans les échanges c’était bizarre, ils ne parlaient pas de rendre les 5 ou 6 les 4 ou les 3, ils parlaient des otages, c’était toujours les mêmes échanges qu’il y avait au début. Donc j’ai dit, on ne va pas tergiverser, on va l’appeler de suite et on va lui dire qu’on veut récupérer les otages, et rapidement, parce qu’il veut vous les rendre. Il m’a dit, vous venez de quelle planète ? j’ai dit je sens les choses, je peux me tromper, mais on va essayer. On appelle le preneur d’otage, et on lui dit, on veut récupérer tous les otages, et rapidement. Et il répond, effectivement, ça y est vous avez mis du temps ! parce que les gens n’avaient pas lu entre les lignes, ce petit montage, ce genre d’ultimatum et de menace, parce que des ultimatums et des menaces, on en a, c’est simplement pour reprendre la main, ils se disent on va faire un ultimatum. Quand j’ai eu un ultimatum, je leur ai dit, l’ultimatum est à 22h, tel jour, et je donnais ça aux autorités. Naturellement on me demandait mon avis, je disais, un ultimatum reste un ultimatum. C’est vrai qu’on avait des informations sur le groupe en question sur comment il se comportait, on avait un groupe, s’ils sont un peu durs, on sait qu’il peut se passer des choses, là c’est un groupe auquel on avait déjà eu à faire, on se dit, eux, ça m’étonnerait qu’ils fassent quelque chose
cette notion d’ultimatum c’est une menace qui est avec une contrainte de temps. Comment dans ce métier de négo tu gérais l’ultimatum ? Est-ce qu’il y avait une volonté de prise de contact juste avant l’ultimatum pour les décharger émotionnellement de passer à autre chose ? Est-ce qu’il y avait d’autres stratégies ? j’imagine que ce qu’il ne faut pas faire, c’est de challenger l’ultimatum ?comment tu le gères
L’ultimatum est donné, on sent qu’au niveau de l’échange, ça monte un petit peu, et quand tu as l’habitude, tu dis, OK, il est au bout du bout, et l’ultimatum va tomber, et là, il tombe. Là , l’ultimatum tombe, demain à 14h si je n’ai pas une réponse positive à ce que je veux, je tue l’otage. Et en fait, le bon négociateur, il ne va pas parler trop longtemps, je tue l’otage et il raccroche. Nous on a les éléments, ce qu’on fait, on prend en compte l’ultimatum qu’il vient de nous donner, naturellement tout de suite la pression vient dans le premier cercle, je leur dis, il n’y a aucune pression, on va donner ça aux responsables, qui savent qu’il y a un ultimatum, que demain à telle heure il va faire du mal à l’otage. Et ce que je fais, après quelques heures, je rappelle, et je continue mon entretien, et je ne parle pas du tout de l’ultimatum. Et il me dit, tu sais qu’il y a un ultimatum demain à 14h ? et moi je continue ma discussion sur les différents sujets que je veux travailler, je continue comme ça. Et en fait, c’est un moment de pression qu’il a eu, il veut nous mettre la pression, et après, en règle générale… À un moment donné si je sens vraiment qu’il est insistant, je lui dis, est-ce que tu penses qu’on sera gagnant toi et moi, s’il arrive quelque chose à Pierre ? En plus je baisse au niveau de l’intensité, je suis dans l’émotion, et là il me dit, oui mais vous ne comprenez rien, il crie ! je dis, réfléchis à ce que je viens de te dire, est-ce que tu penses que c’est vraiment ce qu’il faut faire, sachant que les bonnes nouvelles vont arriver, tous les deux on veut la même chose. Ce qui est important c’est ça, c’est cette relation
tu te synchronises sur une posture très basse, tu ne le menaces à aucun moment, mais il est averti des conséquences et tu lui fais part de toute l’avancée de la négo et de tout ce qui a été fait depuis le départ, que vous avez coconstruit à deux, pour le ramener à une phase de rationalisation un peu plus importante
C’est ça, et comme je te dis, l’être humain il n’est pas… qu’est-ce qu’il va faire à un moment donné, même s’il reste en position haute, à un moment donné il va redescendre, il se rend compte que la réalité c’est qu’il a voulu nous faire peur, on l’a bien compris, mais qu’il y a eu des choses de faites et qu’on va y arriver. Il faut simplement, et surtout je suis sur une posture basse, je ne le provoque pas, je le connais, même si je discute avec lui depuis un certain temps ou pas, je fais très attention, parce que je reviens toujours à ce que je disais, je me soucie des otages, ma priorité c’est les otages. À chaque jour qui passe, je pense à eux, parce que je sais que quand je vais les récupérer, avec tout ce qu’ils ont subi, je pense à eux chaque jour, je me dis chaque jour, il faut qu’ils sortent. C’est un mantra, c’est les otages. C’est pour ça qu’on a une particularité, on va négocier sur le terrain, on va au bout du monde. Quand un preneur d’otage me dit, mais tu es où toi ? je dis je suis à tel endroit, je suis à 100 bornes ou 200 bornes de chez toi. Ah bon tu es là ? Je ne suis pas à Paris dans un bureau, et le soir à 19h tu rentres à la maison et tu vis, non on est à 200 % et cette équipe, cette machine qui est mise en place, moyens humains et techniques, elle est là, c’est un rouleau compresseur, c’est qu’ils vont sortir
ils le ressentent ça, que tu n’es pas très loin ?
Ils posent des questions, tu es où ? Ah tu es à tel endroit ? Oui je suis là, je connais et là. Il faut faire attention, mais on va au plus près. On va au plus près, ça peut être des risques, j’ai été dans un endroit où on a été attaqué, ils pensaient qu’on avait une contrepartie, ils nous ont attaqués, les forces de l’ordre dans le pays où on était ont attaqué pour essayer de récupérer une contrepartie qu’on n’avait pas, pour te donner un ordre d’idée. Ça veut dire que tu ne vis pas que la négociation, à un moment donné, on se fait attaquer parce qu’ils se disent peut-être qu’ils ont des choses, et on va les prendre. C’était les forces de l’ordre sur place qui se sont déguisées en brigands, et ils ont piqué le coffre, et le lendemain on va les voir avec la clé du coffre, et le patron de la police, on ouvre le coffre et il nous dit, elle est où la rançon ? je dis, mais de quoi vous parlez ?
C’est une vie un petit peu, avec plein d’anecdotes, mais sur le coup tu te dis, ils ont piqué le coffre, attaqué le bureau, ils ont essayé de rentrer et n’ont pas réussi, on a protégé les personnes, mais ça peut être un peu compliqué
de toutes les négos que tu as pu faire, quelle a été la plus complexe que tu as eu à mener, et cette complexité venait d’où ?
La négo la plus complexe que j’ai pu mener, c’est la négo qui dure depuis très longtemps où le preneur d’otages reste sur des positions, où la contrepartie surtout du politique est pour ainsi dire impossible. Il demande de libérer des personnes et les personnes ont du sang sur les mains, et même en faisant tout ce que tu veux avec le pays concerné, en ayant des accords, tu vas difficilement récupérer ce qu’il veut. Et quand lui tu essaies de le faire glisser sur autre chose, il est arc-bouté sur cette contrepartie, sur ces libérations parce que naturellement il veut récupérer ses frères d’armes. Et là c’est très difficile, tu peux avoir tous les leviers, c’est très, très difficile. Là on peut jouer sur le fait que les otages, avec le temps, au niveau de la santé, ils se disent à un moment donné, si les otages venaient à être malades ou à mourir, je n’aurai plus rien
dès que ce n’est plus du business, mais que ça devient dogmatique, c’est là qu’est la complexité, c’est quand les valeurs s’opposent
Oui, les valeurs s’opposent, et même si tu travailles beaucoup, sur la personne, sur l’humain, il comprend plein de choses, tu arrives à le remettre un peu dans la réalité, on est quand même sur une demande qui est pour ainsi dire, irréalisable. Sachant que s’il en demande 10 et qu’il y en a deux qui ont du sang sur les mains, tu peux en avoir 8, il te dit non, j’en veux dix, je veux qu’on libère 10 prisonniers, et là ça devient difficile, après c’est politique, tu veux faire quoi ? ce n’est pas dans ton mandat, mais il faut arriver à lui faire comprendre que tu peux avoir du monde, tu peux avoir ceux-là, mais les deux autres, il ne les aura pas, ce n’est pas toi qui décides
toi qui as négocié à l’international, est-ce que tu as senti de grosses différences en fonction d’une culture ou d’une autre, ou à l’inverse des points communs, des manières de percevoir la vie qui sont toujours les mêmes ? un négociateur professionnel me disait que cette notion d’humilité, de respect était une valeur universelle, sans singer l’autre, si tu arrivais à ce dénominateur commun de respect, tu avais un accélérateur de processus de négo qui était incroyable
Oui je suis tout à fait d’accord avec lui, c’est tout à fait ça. Tu auras une culture différente, ce qu’il faut faire quand tu arrives, déjà, c’est de savoir à qui tu as à faire, observer, s’adapter à la culture, aux us et coutumes, tu arrives dans un pays, il faut s’adapter rapidement, mais après, tu es humble, tu as un grand respect, ça peut être un traducteur, tu respectes le traducteur, et ensuite tu as la personne qui vient t’amener la bouteille d’eau, il va tout regarder, la personne qui t’amène la bouteille d’eau, est-ce que tu la remercies, comment tu te comportes avec les gens, la manière dont tu parles, la manière dont tu le briefes, tous ces éléments, c’est très important. Et ça c’est un dénominateur commun, c’est l’humilité, et surtout le respect. Moi je vais qualifier ça comme ça, c’est qu’il faut aimer les gens, pour être négociateur, il faut aimer les gens, si tu aimes les personnes quelle qu’elles soient, tu arrives quelque part , et je le disais aux traducteurs, j’ai besoin de vous, vous allez m’aider, j’ai besoin de vous ! je n’arrive pas en étant champion du monde de la négociation, parce que le champion du monde de la négociation, c’est lui, pas moi, c’est lui qui va tout faire, moi je vais l’aider. Donc je dis, j’ai besoin de vous, et s’il y a quelque chose, on a un point positif, c’est lui que je remercie en premier je vous remercie pour ce que vous faites.
tous les parallèles qu’on peut faire avec le monde de l’entreprise, ce n’est jamais le sales tout seul qui gagne, il a besoin d’une équipe, d’être à l’écoute à tous les niveaux de l’entreprise, les personnes qui travaillent avec lui. Et ce que tu dis est un message qui est extrêmement fort
tu pourrais nous raconter un échec de négo, si tu en as eu, et à quoi il a été lié pour toi ?
Les négos, avec les moyens humains et techniques, en règle générale, je dis l’équipe, on est à 95 % de réussite. Quand il y a eu un échec de négo, c’est la contrepartie politique. Des fois des gens m’ont dit, je te trouve sympa avec le preneur d’otages et tout, mais j’ai eu de la chance, je n’ai pas eu de problème d’échange, j’ai eu des problèmes sur sa demande, il me demande quelque chose de bien particulier, il enlève des personnes et me demande un saufconduit pour partir. Et le pays en question nous dit non, on ne donne pas de saufconduit, et lui me dit, c’est la condition, je veux ça et ça, et je veux un saufconduit mais le saufconduit, et naturellement il est du pays, je ne vais pas avec une signature essayer de le faire, il n’y a pas de faux en négociation, c’est des êtres humains. Je ne lui mens pas, je lui dis, le saufconduit du pays en question on ne peut pas l’avoir, et là c’est un blocage, après j’essaie de lui expliquer qu’il pourra peut-être vivre et bien vivre dans ce pays sans saufconduit, ce qui va être difficile, tu le comprends bien mais ça, ce n’est pas dans notre main
tu as eu une phrase très forte, « je n’ai jamais eu de problème avec les personnes, mais avec les demandes », il faut différencier le problème de la personne
Je suis arrivé sur des négociations, les gens me disent, cette personne est comme ça, comme ça, etc., son profil a été fait par des psys, et quand j’ai commencé à discuter, je prends naturellement en compte ce que disent les spécialistes, ils sont là et font très bien leur travail, mais dès que je commence une négociation, je me fais moi-même le profil et j’essaie de… je ne commence pas à me dire, il est comme ça et comme ça, parce que ça va fausser, il va le ressentir. Le ressenti en discussion comme on le fait là, est impressionnant, je ressens des choses, comme la personne ressent des choses en face.
les gens qui veulent te trouver, pour travailler avec toi, tu fais de la formation, du conseil ?
Je fais aujourd’hui de la formation en négociation, globale, négociation commerciale, j’ai fait un parallèle avec la négociation de crise, je fais pas mal de formations dans ce domaine. Ce sont des techniques qu’ils peuvent mettre en place de suite, parce que comme j’ai beaucoup négocié à l’international, je connais un peu le système qui est un peu différent quand on négocie en France
Je fais des formations sur la détection du mensonge, je le mets un petit peu avec la négociation.
J’en fais aussi un peu sur la radicalisation, la détection des radicalisés, je travaille là-dessus, c’est un peu touchy, naturellement. Je me suis spécialisé sur des entretiens sur détecter les radicalisés
Voilà les formations que je fais, et l’étude des malveillants. Il y a 40 ans de terrain, je suis un homme de terrain, c’est de l’expérience. Je suis à l’aube de mes soixante ans, soixante belles années, je me suis régalé !
pour terminer le podcast, si le Éric d’aujourd’hui rencontrait le Éric d’il y a 20 ou 40 ans, quel conseil lui donnerais-tu ?
Je me suis engagé dans l’armée à 18 ans
Je lui dirais, déjà fonce ! je ne lui dirais pas de suivre le même parcours, et encore, si, parce que j’ai un parcours quand même assez difficile, parce que dans l’armée, ça n’a pas toujours été facile. Je lui dirais, écoute, j’avais souvent de bons conseils avec les anciens, prends le temps d’écouter les anciens, parce qu’ils sont souvent de bons conseils. De temps en temps j’avais tendance à foncer, mais c’est pas mal, l’expérience des autres, parce que quand on est un petit peu un chien fou, qu’on veut avancer, avancer, alors que les anciens ont vécu, et quelquefois ils ont de très bons conseils
et ça évite de payer le prix cher quand tu rates quelque chose et de refaire les mêmes erreurs, souvent
C’est ça. Après, on a chacun notre caractère, notre éducation, il y a pas mal d’éléments qui rentrent, mais c’est ça, moi j’avais tendance, on me conseillait et je n’ai pas tout le temps écouté les conseils et avec un peu de recul, ça aurait été pas mal quand même.
C’était passionnant, sur de tels sujets on ne peut pas toujours rentrer dans le détail, mais déjà on touche du doigt la complexité de ton métier, l’empathie et la lucidité à l’autre que ça demande, pour ne pas basculer sur de la sympathie et ne pas être noyé par ses émotions, parce que le nombre de négos que tu as menées est assez incroyable. Un grand merci
C’est moi qui te remercie, j’ai passé un bon moment, ça fait du bien d’échanger. Comme je te l’ai dit, maintenant je peux parler un peu plus facilement, et en fait, nous négociateurs, on est un peu particuliers parce qu’on n’est pas des négociateurs qui travaillons en France, on n’est pas du RAID ou du GIGN mais on est des négociateurs des unités, et on n’est pas connu, peut-être maintenant un peu plus, grâce à toi, et surtout on est en mesure d’aider les personnes qui en ont besoin, et avec grand plaisir je serai là pour les conseiller. Et merci pour le travail que tu fais, parce que je suis vraiment épaté par ce que tu fais, c’est génial !
tu as raison de souligner que la négociation on la retrouve dans certains services ou unités où on n’y penserait pas forcément, de prime abord, mais c’est vraiment une arme qui est à disposition des décideurs, pour gagner du temps et faciliter les résultats